De l'education en Amerique

Nous avons recu les resultats du second test de Camille, qui sont tres bons. Nous hesitons un peu entre le Lycee Francais et la tres bonne ecole publique a laquelle elle pourrait pretendre, mais il faut pour cela prendre en compte le cas de Clement.

Faisons d'abord le point sur la situation :
Nous sommes, Aymeric, moi et nos amis des personnes tres diplomees, qui avons reussi nos etudes et qui occupent des postes importants (je m'exclue :-)). Nous sommes d'une generation avec des parents eduques avant 1968, qui sont cultives. Pour la grande majorite d'entre nous, nous avons appris a lire, ecrire et compter a l'ecole publique, avec des valeurs de meritocratie et de travail.

Aujourd'hui trentenaires et parents, que constatons-nous, que nous relaient les medias ?
Trop d'enfants tardent a savoir lire/ecrire, les resultats du baccalaureat ne sont que de la poudre aux yeux pour camoufler l'etendue de la baisse du niveau d'education, les parents ne font plus confiance aux enseignants voire les desavouent. L'ecole publique est devenue un pis-aller. D'autre part, la violence, Facebook sont des menaces pour nos enfants, qui vivront dans un monde certainement plus dur, plus apre, que le notre.

Que voulons-nous pour nos enfants ? Qu'ils reussissent leur vie, c'est a dire leur donner toutes les chances de faire de bonnes etudes, d'etre plurilingues, de les preserver. Et donc, nous cherchons a leur donner le maximum, des le debut de leur vie.
Tout commence a la maternite, ou l'on nous incite a allaiter nos enfants, pour des raisons de sante et de proximite. Ouf, j'ai allaite mes enfants 2 mois, l'honneur est sauf. Personnellement, pour connaitre beaucoup d'enfants eleves a 100% au biberon, ils ne se portent pas plus mal.
Ensuite, le mode de garde : la creche, c'est mieux, ca les socialise, ca les aidera a s'integrer a l'ecole maternelle. Oui, peut-etre, sauf qu'a Paris intra-muros il y a parfois 3 ans d'attente (du vecu).... Donc, nous, eh bien, on a pris une nourrice, et pour etre parfait aupres de nos employeurs tant aupres de notre enfant, nous avons paye (car nous en avions les moyens financiers), une societe qui assurait une garde. 

C'est a ce niveau que nous sommes partis aux Etats-Unis. Ici, tout le monde allaite jusqu'a 1 an au moins, les livres pour eduquer les enfants (langage pour les bebes avec les mains, l'alphabet, les chiffres) est plethore. Nous sommes au pays ou tout le monde peut reussir, parait-il. Doit reussir, ca c'est sur, quitte a engager tous les moyens possibles. Nous avions de l'argent ? tres bien, nous pouvions offrir a nos enfants le luxe d'aller dans une creche locale, quitte a payer le prix d'un salaire mensuel de certains employes ($1800 en temps complet par enfants, de 8h du matin a 18h le soir). Resultat : nos enfants sont parfaitement bilingues.

Et puis, au fur et a mesure des annees passees a New York, nous avons appris et senti la pression pour les ecoles, qui commence au Kindergarten (derniere annee de maternelle, abrege en K). Il y a trois types de garde/ecole pour les enfants, avant le K :
1. les ecoles privees, qui commencent a 2 ans, qui prennent les enfants pour la demi-journee (il y a tellement de monde, on case plus d'enfants, donc doublement du chiffre d'affaires)
2. les daycares (creches), qui commencent a 3 mois, bondees (notre solution, meme prix que le 1 (!) mais pour une prise en charge sur toute la journee)
3. pour ceux qui n'en ont pas les moyens ou pas de place ou qui veulent de la flexibilite, les nannys (nourrices).

Quant aux ecoles (a partir du K donc), voici le choix:
1. l'ecole publique. Comme en France, les meilleurs ecoles sont dans les meilleurs quartiers....
2. les ecoles privees ($37,000 par an a partir du K), accessibles grace au test de l'ERB
3. L'ecole publique dediee aux tres bons eleves (Gifted & Talented ou G&T), qui font le programme en accelere. Il y a parfois dans des ecoles publiques classiques des programmes G&T dans certaines classes, dependant du district dans lequel nous habitons ("district G&T"), ou des ecoles entierement G&T (tout le primaire au moins), "citywide".
Toutefois, ces classes ne sont accessibles qu'apres le test du G&T donc, et les places sont cheres. Il faut obtenir un percentile de 97% pour pouvoir pretendre a une classe dans un district G&T et 99% pour un citywide (je traduit : l'enfant a des resultats meilleurs que 99% des enfants de sa classe d'age, a 2 mois pres. Camille a obtenu ce score et peut donc "pretendre" a aller dans un citywide G&T, a cote de chez nous !).

Alors, pourquoi n'avons nous pas choisi l'ecole publique classique ? C'est que nous voulons le "meilleur" pour nos enfants, et nous savons que le Lycee Francais par exemple a bonne reputation, contrairement aux colleges et lycees publiques a NY. Donc, comme beaucoup de personnes habitant Manhattan et qui, par definition, ont les moyens de payer, $37,000 a l'annee ne fait pas peur, quitte a s'endetter.
Ces parents ont enseigne a leurs enfants l'alphabet apres qu'ils aient souffle leur premiere bougie, ils ont inscrit leur progeniture aux cours d'initiation a la musique (disponibles a partir de l'age de 6 mois), ou de foot, ils leur payent des anniversaires a $800 pour que leur enfant soit heureux. Folie ? Disons qu'ils n'ont pas, qu'ils n'ont plus le choix. Les meilleures universites americaines sont peu accessibles quand on vient du public. Meritocratie ? allons, donc ! Elle n'a plus cours. Pareil en France, d'ailleurs, ou les "elites" apprennent a leurs enfants les codes pour reussir : la discipline, le passage au musee, les visites, les voyages. Il n'y a plus que deux categories, et l'ecart continue de se creuser : ceux qui ont les meilleurs positions et qui font en sorte que leurs enfants reussissent, parfois hors cadre purement scolaire (on pallie aux defaillances du systeme grace aux cours particuliers, aux ecoles privees surchargees, aux voyages a l'etranger) et ceux qui s'en tiennent au systeme public, qui n'est plus adapte a recevoir et motiver ces enfants.

Nous avons donc fait passer des tests a Camille. Ce sont des tests de QI/d'intelligence, car oui, ces ecoles ne prennent que les meilleurs. L'age de Camille au moment ou elle a passe ces tests ? Elle n'avait pas fete ses 5 ans. Sa scolarite pour ainsi dire repose sur les moyens financiers de ces parents et sur ce test, cette heure qu'elle a passee avec une personne inconnue qui lui demandait de resoudre des devinettes et de reproduire une construction de cubes colores. Camille a reussi tres brillamment ces tests. Il faut dire que nous avons fait appel a une entreprise specialisee pour la preparation de ces tests, qui intervenait a l'ecole (prix en sus)...

Qui sommes-nous pour avoir fait passe des tests a notre enfants pour qu'il aille en primaire ? Des parents, habitant New York. Oui, ici c'est normal. Oui, c'est excessif. Oui, retrospectivement, je me pose des questions sur le bien-fonde de tout cela et le type d'education que nous voulons pour nos enfants. Si Camille va au Lycee Francais, elle portera un uniforme (ok), mais ne sera pas confrontee aux classes sociales inferieures, elle sera dans un cocon. C'est bien la que reside la contradiction : oui, nous voulons proteger nos enfants, mais nous voulons tout de meme qu'ils soient bien integres dans la societe : le beurre et l'argent du beurre.

Maintenant, nous avons un petit probleme : Clement est moins scolaire que sa soeur. Un peu etouffe sans doute par sa soeur proche en age mais tres deluree, il est tres timide.... et n'a pas ete accepte au Lycee Francais car considere comme moins mur que les autres et avec quelques petits problemes d'orthophonie. En revanche, il est capable de creer beaucoup de choses avec ses legos et se debrouille tres bien avec une balle, a la main ou au pied. Que dire ? 200 demandes pour 60 places, avec 50 enfants qui avaient deja un grand frere ou une grande soeur au Lycee. Ils ont pris les "meilleurs" (Cf le reportage d'Envoye Special).
Nous redeposerons une candidature pour Clement l'annee prochaine (si Camille va toujours au Lycee Francais), mais il devra passer cet examen. Clement est un grand distrait, tres sensible, tres creatif, plus manuel que sa soeur. On lui pose une devinette ? Il sourit, sans repondre, il se decourage vite s'il n'y arrive pas. Qu'arrivera t-il si, a 4 ans et 2 mois, le test se passe "mal" ? Le Lycee le refusera ? possible. Je ne vois pas non plus Clement arriver a decrocher un score tel au G&T pour qu'il entre dans la meme ecole publique que Camille si nous optons pour le G&T (en accelere). Lui devra donc etre cantonne au public classique, pour toute sa vie ?

Les enjeux sont enormes. Il faut savoir qu'il faut ecrire des lettres de recommandations, que les parents font appel a leurs connaissances pour appuyer leur candidature aupres des directeurs des admissions (qui est un poste a temps plein), voire donnent de l'argent tout de suite, sous forme de donation (il ne s'agit pas d'avance sur les frais de scolarite). Les dons sont repertories et rendus publics. Mais oui, n'oublions pas que Central Park est surtout finance par le mecenat, que les bancs impeccables portent les noms des genereux donateurs. Prenez le programme du Metropolitan Opera, vous y trouverez la liste des donateurs (je crois me souvenir qu'il en est de meme pour l'Opera de Paris). Je ne connais pas bien le systeme de financement des ecoles privees (notamment si elles recoivent des allocations de la part du Departement de l'Education), mais elles demandent regulierement des dons financiers (pour equiper les eleves de smart tables, d'iPad, pour financer les voyages, les cours de mandarin) et du temps. Les parents d'eleves interviennent enormement pour le gala de l'ecole, pour accompagner les eleves lors d'une sortie, pour intervenir en classe (presentation de son association,  de son metier ou d'une competence particuliere).

Je n'ai pas l'impression que l'on se pose ces questions au fin fond du New Jersey....

http://nymag.com/news/features/63427/
http://www.dailymotion.com/video/x4ersu_creches-pour-elites-new-york-envoye_news?search_algo=1